Entre Mathilde et les livres, c’est une longue histoire… Tout débute en pleine campagne bordelaise : «Petite, j’étais déjà sensible aux mots, aux histoires. J’adorais le Prince de Motordu et les romans de Roal Dahl. Mes parents avaient redonné vie, avec d’autres habitants du village, à une association théâtrale qui rythmait littéralement la vie du village. Chaque année il fallait construire les décors, la scène, les costumes… Mon père écrivait les pièces et les mettait en scène, ma mère chantait à la chorale, j’ai joué de 5 ans à 18 ans. Le goût des mots, de la langue et des histoires passe indéniablement par la transmission. Les livres de l’école, les romans d’aventure que je trouvais chez ma grand-mère et ceux qu’on avait à la maison… c’est une porte ouverte, vers d’autres mondes… mais aussi vers soi. »
Dans la vie, il y a des souvenirs qui marquent plus que d’autres et Mathilde se rappelle encore du sentiment de satisfaction qu’elle a ressenti lorsqu’elle s’est rendu compte qu’elle savait lire. Sa madeleine de Proust ? L’odeur des livres et des magazines de la maison de la presse à côté de chez elle. « Depuis toujours, j’ai besoin d’avoir des livres avec moi, particulièrement sur ma table de chevet. Ils m’annoncent une plongée dans un nouveau monde. Je ne dors bien que si j’ai lu. »
Fréquentant tout au long de sa jeunesse les bibliothèques scolaires et les librairies, ce n’était pourtant pas une évidence pour Mathilde de transformer sa passion en métier. Elle réalise d’abord des études dans les métiers du livre sans forcément se projeter comme bibliothécaire, puis elle suit une Licence en Sciences de L’Éducation. Depuis longtemps happée par le triptyque du mot, de l’image et du son, elle se lance ensuite dans une Licence Professionnelle en Gestion des Ressources Audiovisuelles et réalise un stage tant désiré à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel). Quand sa meilleure amie est mutée à Mulhouse, Mathilde répond à l’offre d’emploi de l’ISSM (Institut Supérieur Social de Mulhouse). Un poste qui devait durer 6 mois… et qu’elle n’a plus quitté depuis… « Travailler avec un public étudiant, dans le domaine du social et qui plus est, au beau milieu des livres, ça a pris tout son sens pour moi. Pourtant, à l’époque, je préférais le monde de la librairie, j’aimais le mouvement, les nouveaux livres, les rencontres avec les auteurs. À l’ISSM, j’ai découvert des professionnels engagés (certains m’ont fait découvrir de nouveaux auteurs que j’aime encore aujourd’hui), un fonds documentaire qui l’est également et qui résonnait avec les études que j’avais faites. J’ai aimé ce monde autour de moi, tourné vers l’Autre. »
CRÉER UNE RENCONTRE À TRAVERS LE LIVRE
C’est donc en tant que documentaliste au CRD que Mathilde intègre l’ISSM en octobre 2008 avec une réelle envie de créer des rencontres autour du livre. « Mon père m’a toujours dit « C’est à toi de donner la couleur que tu veux à ton métier ». En tant que documentaliste, on a un rôle de médiateur : d’abord décrypter les besoins des étudiants mais aussi leur faire découvrir des ouvrages… » C’est justement pour leur faire découvrir autrement les livres que Mathilde propose en 2010 de mettre en place le « Coup de cœur Littéraire ». « J’avais à cœur de créer un prix littéraire qui me permettrait de rencontrer les étudiants, les collègues. L’idée était vraiment de leur (re)donner goût à la lecture à travers cet événement et aussi de lire différemment avec un rôle de juré ». Sa direction l’a soutenue dès le début, et elle a pu compter sur des collègues grands lecteurs pour construire l’action avec elle.
LE COUP DE CŒUR LITTÉRAIRE
Le principe ? Un comité, constitué de documentalistes et de formateurs, réalise une sélection de 5 livres. Ensuite, un appel à candidatures est lancé auprès de tous les étudiants, leur proposant de devenir juré de ce prix. Les jurés ont 5 mois pour dévorer 5 livres et se rencontrent ponctuellement lors de moments conviviaux d’échange. Le jour de la délibération, les jurés se rassemblent puis au terme de ce dernier temps de débat, ils votent individuellement pour le livre qui les aura le plus conquis.
Après avoir rencontré un joli succès pendant les deux premières éditions, le projet prend de l’ampleur : 4 autres centres de formation en travail social d’Alsace rejoignent l’aventure mais pas seulement… « L’intérêt de ce projet, c’est aussi de l’ouvrir à d’autres institutions sociales comme par exemple à l’association ALSA (Aide au Logement des Sans-Abris) qui a été la première à nous rejoindre. Nous voulions donner l’opportunité à tous types de personnes, étudiants, formateurs, professionnels mais également à des personnes accompagnées d’exposer leur point de vue. Chacun a la même place. » Le nombre de personnes qui constitue le comité n’a depuis cessé de s’accroître, et il en est de même pour le nombre de jurés : plus d’une centaine chaque année !
Chaque édition est placée sous une thématique particulière. Après le voyage, les émotions ou encore la famille, le thème choisi cette année est le sens de la vie. (Retrouvez la liste des livres ici) En raison de la Covid, les rencontres ponctuelles se sont réalisées par visioconférence. La date de délibération n’est pas encore connue et sera fixée dès que le contexte le permettra.
LE PRIX DU LIVRE INTER
La passion des livres ne s’arrête pas là pour Mathilde… Elle s’est lancée cette année le défi de postuler au Prix du Livre Inter et elle a bien fait ! En effet, elle a été sélectionnée parmi plus de 2400 candidatures pour faire partie des 24 jurés de ce célèbre prix. Depuis 46 ans, ce dernier récompense un roman choisi par un jury populaire et indépendant composé de 12 hommes et 12 femmes.
« C’était mon rêve depuis des années de faire partie de ce jury… France Inter est ma maison auditive, je l’écoute chaque jour. Alors, lire des romans et les départager à la Maison de la Radio… Comment ne pas le désirer ? Oser candidater est une autre paire de manches, j’étais tellement fière d’être allée au bout de la démarche. J’ai pris le temps, pendant trois soirées, de mettre des mots sur mon rapport aux livres : pourquoi la lecture est-elle si importante, qu’est-ce qu’elle représente, qu’est-ce qu’elle offre ? Ce fut un exercice passionnant et finalement évident. En finissant mon courrier, j’ai pensé que je leur donnais là une partie de moi-même, en toute honnêteté, je ne voulais pas me transformer en quelqu’un d’autre pour plaire. Ils me prendraient telle que je suis ou ils ne me prendraient pas… Je commençais déjà à penser à la candidature que je ferai l’année prochaine, et à tout ce que j’avais oublié de dire… Jusqu’au message vocal d’Eva Bettan (ndlr : journaliste de France Inter) qui me demandait de la rappeler. Je me suis décomposée et j’ai hurlé de joie ! Être sélectionnée m’a donné confiance, m’a gratifiée d’une forme de reconnaissance. J’en suis infiniment heureuse«
Pour la petite histoire, Mathilde a failli ne pas faire partie des jurés à cause d’un problème informatique… Elle a pu heureusement envoyer in extremis sa candidature 15 minutes seulement avant la clôture des inscriptions ! Une belle aventure de deux mois pendant laquelle elle a eu comme mission de lire les 10 livres en lice. Elle se rendra à Paris le 6 juin prochain pour délibérer avec les autres jurés et décerner le précieux sésame au livre sélectionné.
Ils en parlent… Retrouvez l’article dédié à Mathilde dans le journal l’Alsace.
3,2,1.. FAST QUESTIONS !
- Le livre qu’il faut avoir lu dans sa vie, selon toi ? Celui que je n’ai pas encore lu…
- Ton endroit préféré pour lire ? Tout dépend du temps : s’il fait beau, dans le hamac, s’il fait froid, devant la cheminée, s’il pleut, dans le bain, s’il fait nuit, dans mon lit.
- Ton livre du moment ? Maintenant que j’ai fini les 10 romans en lice je vais pouvoir terminer « Fort comme un hypersensible » de Maurice Barthélémy.
- Le meilleur bruit de fond pour lire ? Le crépitement du feu dans la cheminée.
- Le livre qui t’a le plus marqué ? Jusqu’à aujourd’hui « American Dirt » de Jeannine Cummins.
- Plutôt livres papier ou liseuse ? PAPIER ! Je n’ai jamais eu de liseuse et il est hors de question que j’en ai une !
- Plutôt livres neufs ou livres empruntés ? L’année dernière encore j’aurais dit incontestablement livres neufs mais j’ai redécouvert le plaisir d’emprunter des livres en bibliothèque, parce que je ne peux pas tout acheter et parce que je n’ai pas besoin de conserver tous les livres que je lis. Acheter un livre reste tout de même un plaisir incontournable.
- Le livre qui t’a donné le goût de la lecture ? Quand je ne savais pas encore lire mes parents m’ont offert un livre audio de Blanche Neige, qui contenait une cassette et un livre papier. J’ai écouté je ne sais combien de fois ce livre ! Je l’adorais.
- Une citation de livres ? « – Vous avez lu tous ces livres ? j’ai demandé – Oui. Certains plusieurs fois, même. Ce sont les grands amours de ma vie. Ils me font rire, pleurer, douter, réfléchir. Ils me permettent de m’échapper. Ils m’ont changée, ont fait de moi une autre personne. – Un livre peut nous changer? – Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis » (Gaël Faye, Petit Pays, p. 172)
- Si le livre était une émotion, pour toi… ? J’aime les livres quand ils me font vivre toutes les émotions ! C’est un gage de richesse si, bien sûr, l’écriture et l’histoire sont au rendez-vous.
- Le livre à lire avant de voir le film ? Into the Wild.
- Ton auteur/autrice ? Fred Vargas.
- Ton livre préféré ? J’aime énormément de livres mais je ne crois pas avoir un roman préféré… Je ferai un choix à la fin de ma vie peut-être ! Pour le moment je suis trop impatiente d’entrer dans le monde d’auteurs et d’histoires inconnus.
- Le nombre de livres que tu as chez toi ? Je n’ai jamais compté, mais il faut qu’il y en ait partout : dans le salon, la cuisine, sur ma table de chevet, dans l’atelier où je dessine…
- Un livre que tu nous conseilles de lire au soleil pour les beaux jours ? Je découvre de plus en plus de romans graphiques, j’ai adoré celui de Catherine Meurisse “Delacroix”, qui est drôle, les couleurs sont magnifiques et on apprend plein de choses ! J’ai aussi beaucoup aimé le roman “Changer l’eau des fleurs » de Valérie Perrin (son 2e roman vient de sortir, j’ai hâte de le lire), « Il est grand temps de rallumer les étoiles » de Virginie Grimaldi. Un autre livre moins joyeux mais qui m’a beaucoup plu : « Les gens dans l’enveloppe », d’Isabelle Monnin.
- Le mot de la fin ? Je reprends le titre de l’émission de Guillaume Gallienne que j’adorais sur France Inter : « La lecture, ça ne peut pas faire de mal ! »